De la sobriété à l’équité

Catherine Jagu – 29 septembre 2022

Sobriété est devenu le mot de la rentrée ! Poussé par la crise énergétique et la peur de manquer cet hiver, ce mot est devenu l’alpha et l’oméga pour éviter de parler de décroissance de la consommation énergétique.

C’est aux universités d’été de l’économie de demain (UEDD), que j’ai entendu une première explication courte et clivante du mot. La sobriété serait se priver volontairement d’un produit ou d’un service par opposition à la pauvreté où l’on subit cette privation.

Certains en appellent à la philosophie pour définir ce concept comme désirable et symbole de la maîtrise de soi. D’autres encore l’opposent à l’ébriété.

Il n’empêche que les réalités physiques sont implacables : nous n’avons pas de deuxième planète et ses ressources sont finies. Globalement, nos émissions de gaz à effet de serre, nos accumulations de déchets et de substances chimiques nous font déjà dépasser plusieurs limites planétaires.

Comment arrêter de confondre bonheur et consommation quand tous les messages, tous les modèles transmis les confondent ?

Comment arrêter de valoriser économiquement des activités aux impacts destructeurs pour la planète et ses habitants?

Quand le « gâteau à se partager » diminue, la stratégie de croissance devient forcément une stratégie de prédation avec ses conséquences sociales implacables.

Si les inégalités entre les pays sont désormais bien mises en évidence, les inégalités au sein de chaque pays doivent encore être rappelées.

Si la théorie du ruissellement est morte parmi les spécialistes, elle est encore bien vivante dans les schémas de pensée et de politique publique.

Nous demeurons prisonnier des moyennes qui nous empêchent de voir les écarts-types et donc la très grande variété des situations. Quand on explique que l’empreinte moyenne d’un Français est de 9,9t CO2eq (2020) et qu’il faut la diviser par deux d’ici 8 ans qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Tout comme les pays se sont mis d’accord sur une notion de responsabilité partagée mais différenciée entre eux, nous devons approcher l’idée de l’empreinte environnementale différenciée.

Par exemple, les efforts à faire pour atteindre en 2030 une empreinte carbone de 2t CO2eq par personne et par an ne peuvent pas être les mêmes pour ceux qui n’ont rien et pour les autres. S’il y a consensus pour aider les personnes en situation de précarité, il n’y a aucune réflexion de fonds sur la nécessaire réduction de l’empreinte carbone des autres.

Quand on rentre dans le concret, de quoi parle-t-on ? De changements de comportements comme ne plus se déplacer seul dans un gros SUV à moteur thermique pour faire 2 km ou renoncer à acheter une résidence secondaire. C’est exactement l’imaginaire désirable qui est véhiculé auprès de chacun de nous depuis plus de 40 ans.

Carbon inequality, France,1990-2019

Pourtant, logiquement, ce sont bien les usages les plus émetteurs de gaz à effet d serre qu’il faut réduire. (Source : https://wid.world/country/france/ ) Quand l’empreinte carbone moyenne était de 8,8 t en 2019, elle était de 24t pour les 10% les plus riches et de plus de 77 t pour les 1% les plus riches en France.

Intuitivement, les citoyens perçoivent très bien cette différence.

Les réactions émotionnelles concernant les jets privés l’ont bien montré. Les changements de comportements ne sont possibles que grâce à la confiance issue du sentiment d‘équité dans les efforts. Cela touche autant chaque citoyen que chaque entreprise.

Créer cette équité sans basculer dans une société autocratique n’est pas un mince défi pour une démocratie. C’est ce que l’Europe cherche à créer avec toutes ses lenteurs et ses défauts.

En France, ce ne sera pas possible tant que les actes ne seront pas cohérents avec les discours. Car ce sont les actes qui réussissent à convaincre, pas les paroles. A ce titre, la culture politique française part de très loin, tant les ors de la république et les privilèges correspondants sont ancrés dans les comportements. Que penser des voitures de fonction avec chauffeurs, des dîners officiels, des hôtels particuliers qui logent les bureaux des ministres ?

C’est pourtant à cette condition de l’exemplarité que des politiques publiques efficaces pourront être déployées avec l’acceptation par toute la société pour diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre, réduire de 40% notre consommation d’énergie en 8 ans.

Sans cette condition, le populisme a de beaux jours devant lui, y compris au sein de la classe moyenne qui doit modifier profondément son mode de vie et ses imaginaires, voire remettre en cause sa vision de la réussite sociale.

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